Article sur le bronzage, avec l’interview du Dr Daniel Perrenoud
LeMatin Dimanche, le 06 décembre 2008
Par Geneviève Comby
«Bronzés» comme Naomi Campbell ou Barack Obama, certains en rêvent, à l’instar de Silvio Berlusconi. Mais attention: l’obsession du teint mat tourne parfois à l’addiction, au même titre que l’alcool ou le jeu. Une dépendance aux UV dangereuse et sans doute plus courante que ce que l’on imagine…
«Nous aimerions tous être bronzés comme Naomi Campbell et Barack Obama.» C’était sa façon à lui d’en rajouter une couche après le tollé provoqué par sa façon peu orthodoxe de saluer l’élection du nouveau président américain «jeune, beau et… bronzé». Champion d’Europe de la blague de cabaret, Silvio Berlusconi a, pour le coup, frisé l’offense raciste, selon ses détracteurs.
Pourtant, à voir avec quel soin il entretient son teint de pain d’épices, de Pâques à la Saint-Nicolas, on ne peut pas nier que le président du Conseil italien fasse du bronzage un enjeu majeur de sa carrière politique et de sa vie. Sans lui, nul doute qu’il se sente aussi nu que sans ses implants capillaires.
Etude
Récemment, une équipe de psychologues américains s’est penchée sur les instituts de solarium. Et le rapport qu’entretenaient 400 étudiants de l’Université du Virginie avec les cabines de bronzage. En mesurant leur niveau de dépendance sur la base de trois éléments qui caractérisent une addiction: la tolérance (le besoin d’augmenter les doses pour obtenir le même effet), le manque (l’inconfort ressenti en étant privés de séances) et la difficulté à contrôler son envie de bronzer en connaissant les dangers des UV. Résultats: 27% des étudiants seraient accros aux solariums!
Cette étude, publiée cet automne dans l’American Journal Of Health Behaviour, n’est pas la première du genre. D’autres ont déjà décrit un intriguant phénomène de dépendance chez certains marathoniens du transat en plein soleil tout comme chez une partie des abonnés aux cabines de bronzage. En cause, selon l’hypothèse la plus courante, les endorphines sécrétées dans le cerveau lors d’une exposition aux rayons ultra-violets, naturels ou pas. Des endorphines auxquelles le corps s’accoutumerait et dont il réclamerait ensuite sa dose régulièrement.
Spécialiste en addictologie aux Hôpitaux universitaires de Genève (lire l’encadré), Daniele Zullino le reconnaît: «Pour l’instant, ce n’est pas notre préoccupation majeure. Ce qui n’empêche pas que le problème du bronzage est probablement bien plus répandu que ce que l’on imagine.»
Le hic, évidemment, c’est qu’une exposition compulsive aux UV n’est pas sans danger. Et la jeunesse ne sert pas d’écran total, même si les dégâts apparaissent souvent des années plus tard.
Interview
Ce que confirme le dermatologue lausannois Daniel Perrenoud:
«J’observe régulièrement que certaines personnes sont très dépendantes du soleil, ce qui a pour effet de vieillir prématurément leur peau et d’augmenter le risque d’apparition de cancers cutanés. Il s’agit le plus souvent de personnes dans la cinquantaine ou la soixantaine, qui ont vécu la mode du bronzage excessif insouciant dans leurs jeunes années.
Ces personnes me paraissent prises dans un cercle vicieux: le bronzage permanent masque les signes d’héliodermie (marques sur la peau de l’exposition chronique et abusive aux UV) et elles ne supportent pas l’image de leur corps sans bronzage.»
Pour le spécialiste de la peau, «la facilité d’accès en tout temps au solarium comporte effectivement un risque d’exposition excessive chez les personnes qui sont dépendantes du bronzage. J’aime à leur rappeler que le bronzage en soi n’est pas un signe de santé, contrairement au message véhiculé par une certaine publicité. Mais il s’agit d’une réponse de protection de notre organisme à l’agression des UV».
«Une envie incontrôlable»
Dr Daniele Zullino, vous êtes chef du service d’addictologie du Département de psychiatrie des Hôpitaux universitaires de Genève. Peut-on vraiment devenir accro au bronzage?
L’idée n’est pas complètement absurde. Nous avons d’ailleurs suivi quelques cas ici. Il faut toutefois rester prudent, car presque tous les comportements peuvent s’apparenter à une addiction dès le moment où on dépasse un certain seuil. Mais les observations montrent que l’addiction au bronzage ressemble effectivement à d’autres conduites addictives. Telles que le jeu pathologique, la drogue ou l’alcool, avec cette focalisation croissante sur un comportement particulier et la perte d’intérêt pour les comportements alternatifs.
Y compris le phénomène de manque décrit par certaines études?
Il ne faut pas confondre l’envie de reprendre et les symptômes physiques qui peuvent être associés au sevrage dans le cas de l’alcool ou de drogues (tremblements, transpiration, crises épileptiques, etc.). Dans le cas du bronzage, il n’y a pas de tels symptômes, mais plutôt une appétence irrésistible et incontrôlable.
Est-ce dû aux endorphines libérées lorsqu’on s’expose aux UV, comme certains le supposent?
C’est une théorie controversée. Il est vrai que les endorphines ont, sur certains centres du cerveau impliqués dans l’automatisation des comportements, un effet de renforcement. Il est vrai aussi qu’avec l’impact des rayons UV, il y a libération d’endorphines. Mais en quantité minime, inférieure à des simples comprimés antitussifs!
Alors en quoi y a-t-il vraiment dépendance?
Ce n’est pas forcément le produit qui pose problème, mais le rituel. Il n’y a pas d’addiction aux rayons UV, mais les gens deviennent accros au bronzage. C’est la ritualisation des comportements qui fait la différence. On est donc effectivement face à une conduite addictive.
Une conduite qui pousserait frénétiquement 27% des jeunes dans les solariums, selon la dernière étude menée aux Etats-Unis!
Ça ne m’étonne pas vraiment. Il y a d’autres conduites de ce type qui concernent de grands pourcentages de la population générale. Par exemple l’hyperphagie boulimique, où le frigo, à peine ouvert, est dévalisé. On tombe dans le problème de santé publique, dès le moment où la personne continue alors qu’elle connaît les effets néfastes de son comportement. C’est le cas d’une exposition exagérée aux UV.
Source : www.lematin.ch